Mercredi 2 juin, le gouvernement a présenté en conseil des ministres un projet de loi de ratification de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) contre les violences et le harcèlement dans le monde du travail.

Une bonne nouvelle ? Oui bien sûr. C’est suite à une campagne enclenchée dès 2014 par le comité des femmes de la Confédération syndicale internationale (CSI) et ses 200 organisations membres – dont la CGT – que cette première loi mondiale contre les violences sexistes et sexuelles au travail a été adoptée en 2019, dans la foulée de #MeToo. L’adoption d’une convention est en soi une victoire, car le patronat ne veut plus de cadre contraignant au plan mondial pour organiser librement le dumping social.

Autre victoire : le contenu de la convention et de la recommandation qui l’accompagne. La CGT, qui représentait les travailleuses et travailleurs français dans la négociation, a œuvré avec la CSI pour gagner une portée large incluant toutes les formes de violences, y compris les violences conjugales, et protégeant l’ensemble des travailleuses et travailleurs, quel que soit leur statut.

L’adoption de cette convention a permis de fêter en beauté le centenaire de l’OIT, institution fragilisée mais plus que jamais nécessaire. Créée en 1919 au lendemain de l’hécatombe de la Première Guerre mondiale sur le principe qu’aucune paix durable ne pourrait se faire sans justice sociale, l’OIT est aujourd’hui remise en cause. Par les pays autoritaires et les grandes puissances, d’une part, qui n’apprécient guère le cadre multilatéral de l’OIT, où les Etats-Unis pèsent le même poids que la Namibie par exemple. Par le patronat, d’autre part, qui ne supporte pas de devoir négocier avec les travailleuses et travailleurs qui à l’OIT sont à égalité avec les employeurs. Cette convention démontre la pertinence de l’OIT, en phase avec la mobilisation mondiale des femmes contre les violences.

La France fait le strict minimum

Cependant, nous ne pouvons nous satisfaire du projet du gouvernement car, en l’état, cette ratification ne changera pas fondamentalement la situation en France. Pourquoi ? Parce que le gouvernement a décidé de ratifier a minima : il refuse de faire évoluer la loi pour y intégrer les recommandations de l’OIT.

On ne peut pourtant pas dire que la situation française soit satisfaisante : une femme sur trois a déjà été agressée ou harcelée sexuellement au travail et 70 % d’entre elles déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur – qui, par ailleurs, n’a quasiment jamais de plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Et quand elles le font, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement1. Notre soi-disant « arsenal » législatif ne fait pas peur à grand monde !

La loi doit être renforcée et des moyens humains et financiers débloqués pour enfin bannir les violences sexistes et sexuelles. Il faut garantir à toutes le droit d’être accompagnées en renforçant les moyens et les prérogatives des référent.e.s du personnel harcèlement, et en augmentant leur nombre. Il faut également rompre l’isolement des 35 % de salarié·e·s qui travaillent dans des entreprises sans représentant·e·s du personnel, en permettant aux conseillers du salarié de les accompagner face à l’employeur en cas de harcèlement sexuel. L’ensemble des professionnels, des représentants du personnel et des salariés doivent être formés et sensibilisés pour lutter contre ces violences. Il est également urgent d’en faire un sujet obligatoire de négociation à tous les niveaux sous peine de sanction pour les employeurs.

La convention de l’OIT pointe la nécessité d’accorder une attention particulière aux facteurs de risques exposant à la violence, comme le travail isolé, de nuit et aux personnes en situation de vulnérabilité. Nous pensons que la ratification doit être l’occasion d’adopter des mesures spécifiques pour protéger, notamment les personnes handicapées, migrantes, LGBTQI+ ainsi que les travailleurs précaires.

Les violences domestiques débordent sur le travail

Le travail est un levier majeur pour atténuer l’impact de la violence domestique, notamment parce qu’il garantit l’indépendance économique, indispensable pour échapper aux phénomènes d’emprise, et que les victimes peuvent y chercher un soutien et de l’aide. Cependant, c’est aussi un lieu de mise en danger : rien de plus simple pour un conjoint violent que d’y retrouver sa victime, il connaît ses horaires, sait où la trouver…

Aucune disposition n’existe en France
pour sécuriser l’emploi des 230 000 femmes
victimes de violences conjugales

Pourtant, aucune disposition n’existe en France pour sécuriser l’emploi des 230 000 femmes victimes de violences conjugales. Il y a urgence à mettre en place, comme en Nouvelle-Zélande, au Canada ou en Espagne le droit à des aménagements d’horaires, de poste, à des absences rémunérées pour effectuer des démarches juridiques ou sociales, la possibilité d’une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie et l’interdiction du licenciement des victimes de violences conjugales. Comme le recommande l’OIT, il convient aussi de garantir l’accès à une prise en charge médico-sociale et psychologique des victimes sans frais.

La CGT, Action Aid et Peuples solidaires ont publié une étude d’impact, détaillant ces mesures concrètes à mettre en place pour intégrer l’ensemble des recommandations de l’OIT dans le droit français. L’ensemble des organisations syndicales ont interpellé la ministre du Travail autour de ces propositions clés pour exiger que la ratification ne se fasse pas a minima. Enfin, associations féministes, syndicats et ONG se sont exprimées ensemble par voie de presse pour exiger des actes, lassées des doubles discours et de l’instrumentalisation de la cause de l’égalité femmes-hommes.

Nos propositions sont précises, simples à mettre en œuvre. Alors où est le problème ? Le patronat, par principe, ne veut pas entendre parler de nouvelle obligation et considère que des bonnes pratiques suffisent. Le gouvernement, lui, refuse, par principe aussi, d’imposer quoi que ce soit au patronat…

Mais la mobilisation permet déjà de faire bouger les lignes. De plus en plus d’entreprises, suite à la campagne de la CGT notamment, commencent à négocier des mesures de protection et de prévention collective.

Par Sophie Binet :
Pilote collectif femmes-mixité CGT
Co-secrétaire générale de la CGT des cadres
et professions intermédiaires (UGICT-CGT

chronique parue paru sur  : https://www.alternatives-economiques.fr/sophie-binet/violences-sexistes-sexuelles-gouvernement-se-contente-de-symboles/00099263

  • 1. Enquête Ifop pour le défenseur des droits, 2014