L’audience s’était tenue le 26 novembre 2020, le jugement est tombé ce jeudi. Un médecin du centre hospitalier de Guebwiller a été condamné à six mois de prison avec sursis pour harcèlement moral et sexuel sur plus d’une dizaine d’infirmières.

article de presse (DNA)

À l’écouter, il n’aurait rien à faire devant un tribunal. En poste pendant plus de quinze ans, le médecin estime que si on l’avait averti, il aurait modifié son comportement. « Nous aurions pu nous mettre autour d’une table pour en parler, j’aurais compris. Je n’ai jamais eu d’intention malveillante, j’ai toujours été très tactile. J’ai mon franc-parler, j’aime bien les blagues graveleuses, l’humour carabin. Si ça a été mal pris, j’en suis profondément désolé. »

C’est peu dire que les douze infirmières qui se sont constitué parties civiles pour harcèlement moral et sexuel en septembre 2019 n’ont pas la même perception des choses. Toutes ont témoigné du climat délétère dans lequel elles ont exercé leur métier durant de nombreuses années en raison des agissements de ce médecin. Lors de leur déposition à la gendarmerie, elles ont rapporté les insultes, les humiliations, les propos crus et obscènes. Elles ont raconté comment les termes de « salope, conne, baleine… » étaient fréquemment employés. De même que les propos dévalorisants ou malsains (« Arrêtez de manger, vous êtes assez grosses comme ça »…) ou à l’égard de patientes (« Elle a un beau cul celle-là »). Les humiliations publiques étaient aussi monnaie courante, tout comme les petites tapes condescendantes sur la tête, les fessées, les dégrafages de soutien-gorge à travers les vêtements (« pour rire »), les blagues graveleuses, les propos à connotation sexuelle (« J’ai envie de toi »…).

« Terrorisées »

Le prévenu les menaçait régulièrement de mutation. L’une d’elles, stagiaire au moment des faits, explique qu’intéressée par un poste, le médecin lui a lancé : « Si tu veux que je t’embauche, il faudra que tu passes sous mon bureau. » C’est le même qui lui demandait « quel sous-tif [elle] a mis aujourd’hui ». Et qui, un jour, lui laisse un message au contenu explicite sur son répondeur : « Quand est-ce que je peux passer chez toi pour la pipe dans ton jacuzzi ? »

Une autre est plaquée contre un mur car il a « envie de l’embrasser. » Et l’une de ses collègues, lorsqu’elle annonce son départ en congé maternité, s’entend répondre « Tu fais chier ». Enceinte, le médecin lui fait comprendre qu’il la trouve moins compétente et avance son explication, toute personnelle : « T’es en train de te faire bouffer les neurones par ton fœtus. » Le reste est à l’avenant, le prévenu, tout puissant, se comportant comme « le coq au milieu de sa basse-cour ».

« Nous aurions aimé être soutenues par notre direction à laquelle nous nous étions plaintes », regrette l’une des infirmières qui, depuis, a démissionné. « Nous étions terrorisées. »

Le prévenu se défend du portrait qu’on brosse de lui, celui d’un « monstre », d’un « obsédé sexuel ». Il avance que s’il est « une grande gueule », il est avant tout « un grand sensible ». L’expertise psychiatrique décrit une personnalité immature, narcissique et psychorigide qui ressent une jouissance dans les situations d’emprise qu’il met en place. Avocat des parties civiles, Me Pierre Dulmet dénonce une « banalisation des dérives comportementales » du médecin : « À force de répétition, l’anormalité est devenue la normalité. »

« Direction défaillante »

Dans son réquisitoire, la procureure Catherine Sorita-Minard félicite un infirmier d’avoir « osé braver l’omerta, favorisant la libération de la parole des victimes face à un comportement déviant ». C’est en effet lui, délégué syndical CGT, qui est allé porter plainte le 11 septembre 2019. « Les victimes se sont mises sous la protection de la justice face à la carence de l’hôpital, et elles ont eu raison. » Elle a qualifié le syndicaliste de « lanceur d’alerte » ayant agi dans le cadre de son « rôle de protection face à une direction défaillante ».

La représentante du ministère public a requis contre le médecin deux ans de prison avec sursis probatoire pendant 24 mois, avec obligation de soins et interdiction de paraître à l’hôpital de Guebwiller.

Reconnu coupable de la majorité des faits qui lui sont reprochés, il a été condamné ce jeudi à six mois de prison avec sursis. Dix des victimes percevront des indemnités (de 3 000 € à 1 € symbolique)