Le Collectif départemental droits des femmes 66 et les organisations syndicales CGT, FSU et Solidaires organisaient le Vendredi 10 février une réunion publique sur la réforme des retraites et les enjeux féministes. Les femmes, grandes perdantes ? Le 7 février les Rosies de Perpignan avaient déjà la réponse à cette question.

INTERVENTION DE KARINE TARTAS CGT 66

Depuis la présentation de son projet de réforme des retraites, le gouvernement martèle qu’il serait très bénéfique pour les femmes. Ainsi, lors de la conférence de presse de présentation du projet de réforme des retraites, le 10 janvier, la Première ministre l’a répété à quatre reprises. Toujours avec le même objectif : soutenir l’idée que son projet profitera aux femmes, qui touchent, en moyenne, des pensions encore largement inférieures à celles des hommes.
C’est une instrumentalisation de la cause des femmes. Comme les combats féministes ont beaucoup progressé – et c’est très bien –, il y a une tendance de plus en plus importante à faire du « féminisme washing », en voulant faire croire que des mesures qui sont soit neutres, soit nuisibles pour les femmes leur sont en fait favorables. Ce n’est pas nouveau.
Déjà, Édouard Philippe avait procédé ainsi, de manière très provocante, lors du précédent projet de réforme des retraites en 2019 : il avait déclaré que les femmes seraient les grandes gagnantes de sa réforme – ce qui était totalement faux, et avait été largement démontré à l’époque.
Cette provocation avait été un moteur de mobilisation de plus. Elle avait lancé le mouvement des Rosies ainsi que la grève féministe du 8 mars 2020, nommée la «  mobilisation des grandes gagnantes » afin de prendre le gouvernement à son propre jeu.
Cela avait donné une dimension très féministe à cette mobilisation.

Pour éclairer le débat, quelques chiffres.
La France compte 16,4 millions de retraité·es de droits directs dont 52,3% sont des femmes. Selon la Drees, en 2020, la pension de droit direct des femmes est de 1 154 euros et de 1 931 euros pour les hommes, soit un écart de 40 %. Avec les pensions de réversion qui bénéficient à une majorité de femmes, l’écart se ramène à 28 %. 4,4 millions de retraité.e.s sont bénéficiaires d’une pension de réversion dont 88 % de femmes. Parmi ces bénéficiaires, 1,1 million pour qui la pension de réversion est leur unique ressource dont 95% de femmes.
54% des femmes retraitées ont une retraite inférieure à 1000 € bruts (contre 16% des hommes) En cause d’abord, les inégalités salariales mesurées au rabais la plupart du temps, mais en réalité, tout confondu, de 28,5 %, selon les dernières données disponibles de l’Insee. Et l’on sait à quel point les entreprises et les gouvernements successifs prétendent agir contre ce phénomène sans prendre aucune mesure réelle.
Le calcul du montant de la pension est effectué en fonction de la durée cotisée et du montant cotisé. Or les femmes cotisent sur un montant plus faible que les hommes.
Leurs carrières sont également plus courtes, et c’est pour cela que la réforme des retraites du gouvernement aura un impact négatif sur elles. Aujourd’hui, 40 % des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète.
Les réformes passées ont pour conséquence une baisse continuelle du niveau des pensions relativement aux salaires.
Cette baisse a des effets plus graves sur les plus faibles pensions des femmes : elle aboutit à un taux de pauvreté des femmes retraitées aujourd’hui sensiblement plus élevé que celui des hommes. Le COR note ainsi que le taux de pauvreté des retraité·es augmente depuis 2016 pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui vivent seules, et parmi elles, il atteint même 16,5 % pour les femmes. 68% des bénéficiaires du Minimum Contributif (Mico) sont des femmes, une femme retraitée sur deux le perçoit.
Exemple: pour la génération de 1950, 28 % des femmes à carrière complète perçoivent le Mico, 8% seulement des hommes.
Pour rappel le montant du MICO est de 678,71 € /mois pour une durée de cotisations d’au moins 120 trimestres pouvant être majoré jusqu’à 741,64 €
Pour compenser cela, le gouvernement annonce vouloir revaloriser le minimum de pension à 1 200 euros brut. Mais ceci figurait déjà dans la loi de 2003 qui le fixait à 85 % du Smic et qui n’a jamais été appliqué. Qui plus est, ce minimum sera appliqué seulement pour les carrières complètes. Or, 83 % des personnes à faibles retraites ne réunissent pas ces conditions, essentiellement des femmes, aux carrières incomplètes et qui toucheront ce minimum au prorata de leur durée de cotisation. Le bénéfice de cette mesure est donc marginal pour les retraité.es.
Par ailleurs, 1 200 euros brut, c’est seulement 100 euros au-dessus du seuil de pauvreté. . La décote, injuste, touche plus les femmes
C’est ainsi que 8 % des femmes (génération 1950) et 6 % des hommes ont subi une décote sur le montant de leur pension du fait qu’ils et elles n’avaient pas réuni la durée de cotisation exigée. Le montant de la décote est plus important en moyenne pour les femmes.
Pour éviter de la subir, ce sont 19 % des femmes contre 10 % des hommes qui ont attendu l’âge auquel la décote ne s’applique plus (aujourd’hui à 67 ans) pour liquider leur retraite. Elisabeth Borne a déclaré que la réforme sera juste pour les femmes car l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans. La décote, très injuste, très pénalisante, sera donc maintenue et annulée exactement au même âge qu’aujourd’hui. Où est le progrès ? Prétendre que la réforme sera juste pour les femmes relève de l’indécence. Un minimum serait de la supprimer.
Il faut également rappeler que même sans décote, partir à 67 ans ne signifie pas non plus forcément partir à taux plein. En effet, si la future retraitée n’a pas tous ses trimestres, sa pension sera proratisée. La conséquence de l’augmentation à 43 annuités conduira donc de nombreuses femmes à attendre l’annulation de la décote et d’être plus nombreuses à partir à 67 ans. Non seulement ce n’est pas une avancée pour les femmes, mais c’est une régression !
Le projet de réforme prévoit une disposition spécifique aux fonctionnaires qui pourront, sur demande, continuer à travailler jusqu’à 70 ans. On imagine bien que ce ne sera pas pour le plaisir d’aller bosser mais uniquement par nécessité, pour celles et ceux qui n’auraient pas leurs trimestres. 70 ans !
L’étude d’impact est très claire : les femmes seront davantage concernées que les hommes par le recul de l’âge de départ à la retraite, de 62 à 64 ans. Elles devront travailler en moyenne 7 mois de plus contre seulement 5 mois pour les hommes pour la génération 1966. Le décalage sera de 9 mois contre 5 mois pour la génération 1972. Pour la génération 1980, on passe même du simple au double : les femmes devront partir en moyenne 8 mois plus tard contre 4 pour les hommes.
L’un des aspects sur lesquels l’étude d’impact ne dit rien est pourtant la question primordiale de l’accès à la surcote, en particulier pour les femmes. En effet, dès que possible, celle-ci compensent des pensions inférieures à celles des hommes par une prolongation de leur activité d’une voire deux années. Chaque année supplémentaire correspond à une hausse de 5% de la pension. Reculer l’âge de départ de 62 à 64 ans, c’est donc supprimer cette possibilité. Concrètement, jusqu’à maintenant, une femme qui peut partir à 62 ans à taux plein mais prolonge son activité jusqu’à 64 ans bénéficie d’une surcote de 10%, passant par exemple de 1600 euros à 1760 soit +160 euros par mois. Suite à la réforme, 1600 restera 1600. « Évidemment, si vous reportez l’âge légal (à 64 ans), les femmes sont “un PEU pénalisées”. On n’en disconvient absolument pas. Sur ce point-là, elles sont “un PEU plus impactées” que les hommes (…) », a admis, à l’antenne de Public Sénat, sans vergogne, le ministre Franck Riester. Olivier Dussopt a admis qu’un recul de l’âge légal de départ « a pour conséquence » ce décalage entre les femmes et les hommes.
Les femmes sont-elles les grandes perdantes de cette réforme ? Les femmes ont déjà été les premières pénalisées par la réforme de 1993 passant le calcul des pensions des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années.
Le système de décote et le report antérieur de l’âge légal à 62 ans ont contribué à la dégradation des pensions des retraitées.
À cause de cela, les femmes sont davantage concernées par la décote et liquident de fait leur pension plus tard que les hommes.
À chaque fois que l’on repousse la durée de cotisation requise, elle est toujours moins atteignable pour les femmes.
Il ne s’agit pas de faire un concours du plus pénalisé, mais de dire que cette réforme ne corrige en rien les inégalités, ni de salaire, ni de pension. Et qu’elle va dégrader la situation des femmes.
Le premier objectif, la base de tout, c’est l’égalité salariale. L’égalité professionnelle réduirait les inégalités de pension. L’autre avantage est que cela dégagerait environ 6 milliards annuels de cotisations retraite supplémentaires pendant une quarantaine d’années. Soit exactement la période pour laquelle le gouvernement nous annonce un cataclysme financier. Réaliser l’égalité salariale, c’est simple : il suffit de sanctionner les entreprises qui discriminent.
La mobilisation historique des 19 et 31 janvier 2023 et leurs suites avec notamment la préparation du 8 mars jour de grève féministe font la démonstration, s’il en était besoin, que la lutte de classes et de masse est féministe et que le féminisme est fondamentalement anti-capitaliste. La force insoupçonnée des travailleuses invisibles et leur détermination à gagner l’égalité des salaires et des pensions est un élément central dans cette bataille.
Nos revendications pour la retraite à 60 ans à taux plein :
• Avec un taux de remplacement à 75% du revenu d’activité pour une carrière complète
• Avec un minimum équivalent au SMIC revendiqué par la CGT – 2000 € brut-
• La reconnaissance de 3 années d’étude.
• Une pension de réversion à hauteur de 75 % de la (ou des) pensions du conjoint, ou pacsé décédé, sans condition d’ âge ou de ressources.
• La suppression du système surcote/ décote: Les femmes sont particulièrement impactées par la décote
• Revenir aux 10 meilleures années pour le calcul de la pension dans le privé.
• Intégrer les primes dans le salaire.
• Indexer les pensions sur l’évolution des salaires et sur celle des prix
• La prise en compte de la pénibilité, notamment dans les métiers du soin et du lien où les femmes sont majoritaires