Les agent·e· s d’entretien ont été quasiment invisibles et pourtant en première ligne pendant la crise du covid 19 : dans les hôpitaux surtout, mais aussi les espaces publics, les supermarchés et toutes les entreprises ouvertes pour assurer les besoins essentiels, ils et elles étaient présent ·e·s et ont pris des risques considérables pour leur santé. Ce secteur représente au sens large plus de 2 millions de salarié ·e·s (soit 8 % de l’emploi total et près de 15 % des femmes en emploi). Et, si une partie d’entre eux et elles travaillent auprès des particuliers, 800 000 personnes environ sont dans la fonction publique et 450 000 sont salarié ·e· s
d’entreprises privées. Au total et selon les métiers, il y a entre 70 et 80% de femmes femmes (1)

Selon François Xavier Devetter et Julie Valentin Valentin (2), l’invisibilité de ces salarié·e·s « risque de perdurer car elle est le produit d’une double extériorisation : horaire (ils et elles travaillent le plus souvent en dehors des heures de présence des autres usagers des bâtiments) et juridique (ils et elles ne sont plus inclus ·e·s dans la communauté de travail du donneur d’ordre sans pour autant être réellement intégré ·e· s dans celle de leur employeur formel) ».
C’est pour lutter contre ce double phénomène que le député François Ruffin a fait une proposition de loi, le 27 mai 2020, en vue « d’encadrer la sous traitance et de cesser la maltraitance » des femmes de ménage ménage (3)

La proposition de loi initiale…

L’objectif indirect de cette proposition était de mettre à mal les excès de l’externalisation massive de l’entretien, opérée dans la plupart des entreprises privées, mais aussi dans la fonction publique (lycées, université et même hôpitaux…). Avec cette externalisation, ces salarié ·e· s ont perdu bon nombre de droits sociaux, comme « le Comité d’entreprise, les chèques vacances, le Noël des gosses » ou le 13ème mois quand il existe. A cela s’ajoute une systématisation des horaires à temps partiel, qui se traduit pour ces salarié ·e· s par une amplitude horaire journalière digne d’un ·e cadre sup, avec au mieux, un demi Smic mensuel.
L’objectif de cette proposition de loi était donc double : accorder les mêmes droits sociaux (légaux, conventionnels ou d’u sage) aux personnels du nettoyage en sous-traitance qu’aux salarié ·e· s de donneuse d’ordre et majorer de 50% les heures effectuées entre 18 heures et 9 heures pour les entreprises, relevant de la convention collective des entreprises de propre té, afin de les inciter à proposer des horaires « normaux » sur la journée.

… et son dévoiement

Mais la Commission des affaires sociales a modifié largement le texte : il ne restait que des engagements formels des entreprises sous traitantes sur des « garanties sociales minimales conformes aux lois et normes conventionnelles ». Et surtout, la majoration des heures décalées n’est plus évoquée. On trouve à la place : « À défaut de convention ou d’accord collectif, l’horaire de travail d’un salarié à temps partiel d’une entreprise extérieure fournissant un service dans une entreprise utilisatrice s’étend sur un horaire de jour entre 9 heures et 18 heures et en continu. Le donneur d’ordre qui refuse d’accorder le bénéfice du travail en continu et en journée entre 9 heures et 18 heures à un salarié de l’entreprise éligible à un mode d’organisation en horaire de jour doit motiver son refus ». (4)
Autrement dit, en cas d’horaires décalés comme dans la majorité des cas au lieu d’imposer une majoration, l’entrepris e devra… motiver son refus.
Devant cette dénaturation de sa proposition, vidée de tout engagement réel contre le travail en horaires atypiques, François Ruffin a décidé de retirer son projet de loi le lundi 1 er juin 2020…

Vers un véritable engagement pour les femmes de ménage

L’enjeu reste entier : comment permettre à ces centaines de milliers de salarié ·e·s, une majorité de femmes souvent en situation monoparentale et d’origine étrangère, de sortir de la pauvreté (rappelons qu’un ·e travailleur·euse pauvre sur six est agent ·e d’entretien et même un ·e sur quatre si on inclut ceux et celles qui interviennent dans les domiciles privés) ? Comment mettre fin à ces salaires de misère, du fait d’un temps partiel court et imposé, d’autant que le nombre d’heures déclarées est inférieur au temps de travail réel ? Dans les hôtels, on demande par exemple de nettoyer 3 chambres et demie par heure, ce qui est une mission impossible, sans rémunérer les heures complémentaires !

Les luttes des femmes de chambres dans les grands hôtels, dont la dernière est l’Ibis des Batignolles toujours en grève depuis le 17 juillet 2019, montrent l’importance de sortir des logiques d’externalisation à tout prix ou du paiement « à la tâche ». Et elles ont obtenu parfois gain de cause ! La lutte contre l’externalisation doit donc se poursuivre et toute désincitation à l’externalisation (en taxant par exemple leur chiffre d’affaires) doit s’envisager.

Rachel Silvera Juin 2020 Télécharger – LE38 – Art 5 – Mettre à mal la maltraitance des femmes de ménage

1Dares Analyses, 2019, « Les métiers du nettoyage : quels types d’emploi, quelles conditions de travail ? », n°43, septembre.

2https://theconversation.com/agents-dentretien-la-crise-sanitaire-revele-labsurdite-des-strategies-dexternalisation-13846

3http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2954_proposition-loi

4http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3013_texte-adopte-commission#