Pour le réseau féministe Les Glorieuses, à partir du 4 novembre 2022 à 9h10, les femmes travaillent gratuitement et ce jusqu’à la fin de l’année. Mais ce mode de calcul s’appuie sur un écart salarial de 15,8 % (données Eurostat), en comparant les taux horaires des salaires des femmes et des hommes, et non le salaire mensuel des unes et des autres… La différence est de taille puisque les dernières données de l’Insee, publiées en 2020, font état d’un écart de 28,5 %, tout confondu.

Parler de salaire mensuel est essentiel si l’on veut vraiment s’attaquer à toutes les sources des inégalités salariales qui sont nombreuses. A commencer par le temps de travail : ce sont toujours les femmes qui sont ultra majoritaires dans le temps partiel (79 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes), dont une partie seulement est à leur demande. On sait que certains secteurs, le commerce, le nettoyage ou encore l’aide à domicile, ont fait du temps partiel court, aux horaires atypiques, la norme.

Les inégalités salariales puisent également leur source dans ce que les économistes appellent la ségrégation professionnelle. Femmes et hommes n’occupent toujours pas les mêmes emplois : le « plafond de verre » est présent et limite l’accès des femmes aux emplois très qualifiés.

Certes, elles sont désormais 42 % parmi les cadres, mais à y regarder de plus près, elles ne constituent que 15 % à 20 % du « top management ». Qui plus est, des « parois de verre » maintiennent les femmes dans certains emplois, filières et secteurs professionnels, qui sont globalement dévalorisés dans notre société, que ce soit dans la santé, l’éducation, le nettoyage ou le commerce.

Enfin, un « plancher collant » entrave leurs possibilités de déroulement de carrière, car si l’écart de rémunération, à diplôme et poste équivalents, est de 18 % en début de carrière, il est de 29,4 % au bout de 30 ans d’ancienneté.

Quels leviers d’action ?

Il est temps de réduire cet écart, que ce soit par des leviers macroéconomiques ou par des actions directes, notamment au niveau des entreprises.

Tout d’abord, l’augmentation du smic, au-delà de l’inflation, est un levier très favorable à l’égalité femmes-hommes, puisque les deux tiers des smicards sont des femmes. N’oublions pas que 12,5 % des femmes (et 5,5 % des hommes) sont au smic et que la probabilité pour les femmes de toucher le salaire minimum est 1,7 fois supérieure à celle des hommes. De plus, à l’heure où l’inflation touche particulièrement les faibles revenus, dont une majorité de femmes, l’indexation des salaires, notamment les plus bas, est urgente.

La lutte contre la précarité et le temps partiel imposé qui reste proche de 30 % de l’emploi des femmes est un moyen de lutter contre les bas salaires auxquels elles sont majoritairement abonnées. C’est en effet la double peine pour les « premières de corvées », qui occupent ces emplois essentiels révélés pendant la crise Covid : non seulement elles sont au smic, mais en plus à temps partiel !

La revalorisation des métiers féminisés, notamment dans le secteur du soin et du lien aux autres, doit être une priorité. Ces services assurés à 80 % voire 90 % par des femmes restent dévalorisés. Selon une idée encore bien ancrée, soigner, accompagner, éduquer ou nettoyer, serait l’apanage des femmes et ne mériterait pas de vraies reconnaissances salariales.

Résultat, le salaire de ces professions diplômées reste inférieur au salaire médian en France (comme pour les infirmières ou les enseignant.es) et proches du smic pour toutes les autres… Le Ségur de la santé a beau avoir introduit certaines revalorisations sous forme de primes, on est encore loin du compte pour l’ensemble des premières de corvée…

Enfin, un vrai partage de la parentalité et des services d’accueil de la petite enfance en nombre s’impose pour jeter un sort à la forte pénalité salariale qui existe toujours pour les mères de famille. Par exemple, toujours selon l’Insee, les mères de deux enfants gagnent tout confondu 32 % de moins que les pères et même 47,5 % de moins pour les mères de 3 enfants ! Et ce n’est pas seulement l’effet du temps partiel… Même en « équivalent temps plein », l’écart en encore de 21 % pour les mères de 2 enfants et de 31 % pour celles de 3 enfants.

La plupart de ces mesures impliquent une action des pouvoirs publics et de l’État employeur, mais la responsabilité des entreprises est aussi importante : dans toutes les sociétés de plus de 50 salarié·es, les données de la Base de données économiques et sociales doivent permettre de bien mesurer ces écarts et un accord ou un plan d’action doit prévoir de réduire ces écarts.

Or désormais, les entreprises se contentent de produire un Index égalité qui masque la réalité et minimise ces écarts grâce à des manipulations statistiques autorisées (introduction d’un « seuil de pertinence » réduisant l’écart de 5 % ; barème appliqué…). Il faut exiger de connaître les vrais chiffres des écarts et de mettre également fin aux systèmes opaques d’individualisation des rémunérations et d’attribution des primes qui renforcent les inégalités salariales.

Rappelons enfin que le maintien de ces inégalités est un coût pour toute la société et pour les femmes en premier lieu. Une étude de Jean et Nicole Gadrey parue dans la Revue de l’Ires, s’attaque aux coûts des inégalités économiques des inégalités femmes/hommes en emploi et revenu, pour chaque niveau de diplôme.

L’écart de salaire à niveau de diplôme égal est en réalité énorme : par exemple, il est de 31,6 % à bac+3. Il et elle montrent que le manque à gagner total pour les femmes (rattrapage en termes d’emplois et de revenus, par niveau de diplôme) serait de 246 milliards d’euros, soit 20,5 % du PIB de 2013, dont 113 milliards de cotisations sociales…

Rachel Silvera
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