Le 3 février 2022, le ministère du travail a publié le nombre de mises en demeure qui ont été notifiées aux entreprises pour défaut de publication de l’index ou absence de mesures correctives lorsque la note était « inférieure à 75 points ».

Sur 12000 entreprises identifiées, seules 500 ont été concernées : chiffre dérisoire comparé au nombre d’entreprises de + de 50 salarié-e-s sur le territoire.

Ce bilan confirme les critiques formulées par la CGT et par toutes les organisations syndicales en 20182, dès que nous avons eu connaissance du dispositif gouvernemental (voir article ici)

Préambule : d’où viennent les 28,5 %3 d’écarts de salaire entre les femmes et les hommes ?
Les inégalités de salaire sont d’abord liées à des effets de structure, au fait que le monde du travail n’est pas mixte et les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois. Schématiquement, les femmes sont concentrées dans les emplois à temps partiel et les bas salaires (« plancher collant »), les filières de métiers les moins rémunérés (« parois de verre ») et accèdent moins aux postes à responsabilité (« plafond de verre »). Si on compare « toutes choses égales par ailleurs » on élimine l’essentiel de ces variables et on invisibilise les écarts. Il ne faut pas oublier qu’entre les femmes et les hommes toutes choses sont justement inégales par ailleurs !

Le plancher collant : 28 % des femmes travaillent à temps partiel (et seulement 8%des hommes) et plus de la moitié d’entre elles ne l’ont pas choisi ! Les femmes passent bien souvent toute leur vie au smic ou juste au-dessus, elles ont moins de déroulements de carrière.
Les parois de verre : les femmes sont concentrées dans peu de professions (soin, éducation, aides à la personne, nettoyage, commerce et administratif) or ces emplois féminisés sont dévalorisés.
Le plafond de verre : même si la part des femmes cadres augmente (elles représentent 42 % des cadres) ; elles n’occupent pas les postes les mieux rémunérés
Et le « plafond de mère » joue également : les femmes sont discriminées parce qu’elles sont mères, filles ou belles-filles (et soupçonnées d’être des indisponibles) !
Les primes : les femmes touchent moins de primes (part variable, accessoires et avantages en nature…). C’est la raison pour laquelle plus on progresse en niveau de responsabilité, plus, à poste équivalent, les inégalités sont importantes, du fait de critères qui se révèlent très discriminants (présentéisme, charisme, participation au CA..). Crever le plafond de verre ne suffit pas !

L’index : un défaut de transparence

Alors que l’index a été mis en place pour créer de la transparence sur les écarts de rémunération, il organise au contraire l’opacité. La construction de l’index repose exclusivement sur les Directions des Ressources Humaines qui n’ont aucune obligation de communiquer le détail du calcul aux syndicats et au CSE ou à l’inspection du travail. Seule est connue la note sur chacun des items, ce qui ne donne aucun élément sur la réalité des écarts.

Alors que l’index a été mis en place pour créer de la transparence sur les écarts de rémunération, il organise au contraire l’opacité. La construction de l’index repose exclusivement sur les Directions des Ressources Humaines qui n’ont aucune obligation de communiquer le détail du calcul aux syndicats et au CSE ou à l’inspection du travail. Seule est connue la note sur chacun des items, ce qui ne donne aucun élément sur la réalité des écarts. Résultat :

l’index est en réalité une autoévaluation des entreprises qui construisent les chiffres à leur main ;

Les inspections du travail n’ont aucun moyen de vérifier le sérieux de l’index. Pire, la CGT a réussi à démontrer dans plusieurs entreprises que le résultat de l’index ne correspondait pas aux méthodes de calcul officielles et la direction générale du travail nous a indiqué que la loi ne permettait pas aux DIRRECTE de sanctionner pour ce motif .

 

Les syndicats ne disposent pas du détail des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, écarts pourtant indispensables pour négocier des mesures de rattrapage. L’index égalité salariale est une note sur 100 qui repose sur 5 critères dont le calcul comporte, pour chacun d’eux, des biais.

 

Des critères construits sur mesure pour invisibiliser les écarts

L’index égalité salariale est une note sur 100 qui repose sur 5 critères dont le calcul comporte à chaque fois des biais

  • Critère 1, sur 40 points, écart de rémunération : un mode de calcul qui permet d’invisibiliser les écarts de rémunération.

Les facteurs de structure évacués
Le mode de calcul de l’écart de rémunération évacue les facteurs structurels d’écart : les temps partiels ne sont pas pris en compte, la dévalorisation des emplois féminisés et l’effet cumulé sur les carrières sont pour l’essentiel occultés.

Un seuil de pertinence de 5 % des écarts de rémunération
L’index prévoit le calcul des écarts de rémunération en équivalent temps plein entre les salaires des femmes et des hommes d’une même tranche d’âge et d’une même catégorie socioprofessionnelle ou d’un même coefficient. Une fois l’écart moyen obtenu, la loi prévoit de retrancher automatiquement 5 points du fait d’un « seuil de pertinence » ! Ainsi, si les écarts de salaire s’élèvent à 10 % en moyenne dans une entreprise, l’index n’est calculé que sur la base de 5 % ! L’index crée ainsi, de façon totalement arbitraire et en contradiction complète avec la loi, une tolérance vis-à-vis des discriminations, qui en-dessous de 5 % seraient acceptables !

Un barème de notation pas assez progressif
Le barème de notation prévoit de retrancher 1 point par % d’écart de salaire. Ainsi, dans une entreprise dans laquelle il y a 10 % d’écart de salaire, seuls 5 % sont retenus. L’entreprise obtiendra 35/40 au 1er critère et pourra ainsi avoir 95/100 pour l’ensemble de l’index !

Des échantillons à la main de l’employeur, beaucoup de salarié·e·s en-dehors du radar.
L’index permet aux entreprises de construire les comparaisons les femmes et les hommes sur le périmètre qu’elles souhaitent : sur les catégories socioprofessionnelles, les classifications de branche ou alors des classifications « maison », d’entreprise ! Les grandes entreprises ont mobilisé leurs services RH pour construire le mode de comparaison qui leur était le plus favorable.
Enfin, dans de nombreuses entreprises, cet indicateur n’est pas calculable étant donné que les effectifs ne sont pas mixtes, des centaines de milliers de salarié·e·s sont donc en-dehors des radars !

  • Critères 2 et 4 : Il faut regarder le montant des augmentations pas seulement le nombre de femmes augmentées

Pire, le critère 4, sur 15 points, est en-deçà des obligations légales. Il vérifie le pourcentage de femmes augmentées à leur retour de congé maternité. Encore une fois, on regarde le pourcentage de femmes augmentées et pas le montant de leur augmentation. Pourtant, le Code du travail prévoit que les femmes de retour de leur congé maternité doivent bénéficier du même montant moyen d’augmentation que celui des autres salarié·e·s de leur catégorie. C’est sur cet indicateur que les entreprises ont eu la première année la plus mauvaise note, démontrant le non-respect massif de la règlementation en matière de non-discrimination liée à la maternité. Cependant, l’indicateur étant en-deçà de la loi, les entreprises ont très facilement pu corriger la situation avec des augmentations cosmétiques pour les femmes. Avec cet indicateur, le gouvernement attribue ainsi le maximum de points à des entreprises qui peuvent ne pas respecter la loi !

  • Critère 5 : L’égalité élitiste

    Le critère 5, sur 10 points, concerne le nombre de femmes parmi les 10 plus hautes rémunérations. Pour avoir 10/10, il suffit d’avoir 4 femmes parmi les 10 plus hautes rémunérations. Un objectif très facile à atteindre car il ne concerne qu’une poignée de femmes et occulte la situation de toutes les autres !

    Des sanctions faites pour ne jamais s’appliquer

    Si, au bout de 3 ou 4 ans en cas de difficultés économiques (sans précision sur les critères…), une entreprise n’a pas atteint 75/100, elle peut être sanctionnée d’un montant maximum de 1 % de la masse salariale. Aucune entreprise n’a donc encore été sanctionnée, une mise en demeure n’est pas une sanction. Surtout, avec ce mode de calcul, c’est un jeu d’enfant d’obtenir plus de 75/100 et d’échapper ainsi à la sanction…

    les effectifs des inspections du travail ont baissé de 20 % depuis 10 ans et que les inspectrices et inspecteurs sont dans l’incapacité matérielle de suivre toutes les entreprises de leur périmètre ; 

     

    L’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle est de moins en moins contrôlée. La loi prévoit que les entreprises sans accord ni plan d’action unilatéral peuvent être sanctionnées d’un montant maximum de 1 % de la masse salariale, pourtant, le gouvernement ne communique plus depuis 2016 le nombre d’entreprises non couvertes et sanctionnées. Pour la dernière année dont nous avons les chiffres, ce sont 60 % des entreprises qui n’étaient pas couvertes par un plan d’action ou un accord sur l’égalité professionnelle, alors que seules 0,2 % des entreprises avaient été sanctionnées !!!

    Pour la CGT, toutes les entreprises ayant moins de 100/100 doivent être obligées de négocier un plan de rattrapage avec les organisations syndicales sous peine de sanction !

     

    Un index qui fait reculer l’égalité professionnelle

    Il permet de dissimuler les écarts, et offre aux entreprises la possibilité d’affichage de notes excellentes tout en discriminant et tend dans la pratique à se substituer aux obligations existantes.
    De nombreuses entreprises se contentent de publier l’index, au lieu, comme leur impose le code du travail, de communiquer aux instances représentatives du personnel (IRP) dans la Base de Données Économiques et Sociales (BDES) des données très précises de comparaison de la situation des femmes et des hommes (l’ancien Rapport de Situation Comparée créé en 1983 par Yvette Roudy). De nombreuses entreprises suppriment les enveloppes de rattrapage salarial ou arrêtent de négocier sur l’égalité professionnelle au prétexte qu’elles ont plus de 75/100.

     

    Avoir un index utile serait très simple

    Si les points techniques soulevés dans cette note étaient modifiés (transparence, suppression du seuil de pertinence, barème plus progressif, sanction pour toutes les entreprises ayant moins de 100, comparaison des montants d’augmentation…) l’index pourrait avoir une vraie utilité et être complémentaire aux obligations de négociation.

    De multiples façons de lutter contre le féminisme de façade (« féminisme washing ») de l’index

    La proposition de loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, devrait obliger les entreprises à communiquer sur chaque indicateur de l’index, mais ce n’est pas suffisant. Il faut exiger que l’entreprise communique le détail de calcul de l’index, et le détail de son tableur. Cela permettra d’identifier sur le critère 1 les catégories socioprofessionnelles et les tranches d’âge sur lesquels il y a des écarts, et d’exiger une négociation pour les supprimer

     

    Faire respecter la loi :

     

    • La loi impose un salaire égal pour un travail de valeur égale, tout écart identifié dans le tableau doit donc être supprimé !
    • Exiger l’ouverture de négociations sur l’égalité professionnelle et saisir l’inspection du travail si cela n’est pas le cas.

    • Mette en place des indicateurs pertinents avec le nuage de point4 et constituer des panels de comparaison en utilisant la méthode Clerc5 pour démontrer les discriminations de carrière ;
    • Comparer par paire des métiers féminisés et masculinisés, de valeur égale selon la loi (par exemple en commençant par comparer les rémunérations pour des mêmes niveaux de qualification, exemple : BTS tertiaire/BTS industriel…).

    Téléchargez : Note 25 janvier 2022 CGT femmes-mixité