Les chefs d’Etats défilent, nous nous battons en commission

Macron, Merkel, Medvedev…les grands de ce monde se succèdent à la tribune de la salle pleiniere de l’OIT et se souviennent tout d’un coup de l’existence des travailleuses et travailleurs…Pendant ce temps, les vrais enjeux se situent dans les commissions

Il y a 3 commissions déterminantes cette année. La première traite de la « déclaration du centenaire », qui donnera les axes de travail et de renforcement le l’OIT pour les prochaines années, alors que le patronat mène un travail de sape pour retirer au normes OIT leur caractère contraignant et les soumettre aux objectifs de croissance économique…Vu de France, nous ne sommes pas dépaysé.e.sLes travailleuses et travailleurs français.e.s y sont représenté.e.s par Bernard Thibault et Pierre Coutaz de la CGT.

La deuxième commission porte sur l’application des normes, et constitue une sorte de tribunal qui juge des violations des normes OIT commises par les Etats. Les travailleuses et travailleurs français.e.s y sont représenté.e.s par la CFDT et FO. Comme chaque année, il y a un bras de fer avec le patronat sur la liste des pays qui seront examinés.

Et enfin notre commission sur les violences et le harcèlement qui doit accoucher de la 190e convention de l’OIT. La CGT (Sabine Reynosa et Sophie Binet) y représente les travailleuses et travailleurs. Au vu de l’enjeu, l’assistance y est exceptionnellement nombreuse : Plus de 120 gouvernements sont représentés, le groupe des travailleuses et travailleurs (très majoritairement féminisé) compte au moins 200 personnes, et les employeurs sont aussi une bonne centaine. De nombreuses ONG sont présentes pour suivre les débats, dans un espace séparé. La première bataille le matin est donc de se garantir une place assise, et si possible une table ! Nous avons chaque jour plusieurs réunions du groupe travailleurs, où nous nous mettons d’accord sur nos positions et amendements qui sont ensuite défendus par notre porte-parole, Mary Clarke Walker, présidente du comité des femmes de la CSI…

Bras de fer sur les définitions clés de la convention

Comme l’année dernière, la bataille centrale se situe sur les définitions, sur les articles 1,2,3,4 et 10. Le gouvernement canadien, qui préside la commission, propose donc que nous commencions par ces articles, et que nous revenions ensuite au préambule.

Nous voulons des définitions larges des violences et du harcèlement, des travailleuses et travailleurs et du monde du travail pour avoir la protection la plus large possible. Le patronat les refuse pour limiter ses responsabilités. Nous pouvons compter, comme l’année dernière, sur le soutien des 54 pays du continent Africain dont la parole est portée par l’Ouganda, sur celui des 28 pays de l’Union Européenne dont les positions sont exprimées par la France, sur le Canada, la Nouvelle Zelande, les Philippines, Cuba et de façon un peu plus fluctuante sur l’Argentine, la Colombie ou le Nicaragua par exemple. Un socle solide donc. Sauf que l’UE, le Canada et la Nouvelle Zelande considèrent cette année qu’il faut trouver un compromis avec les employeurs sur ces questions clés. Nous conservons donc le soutien permanent de l’Afrique, mais cela ne nous suffira pas à garantir une adoption de la convention avec une majorité des 2/3…Il faut donc faire des compromis, et les limiter le plus possible….

Notons que nous faisons face cette année à une obstruction systématique et violente de la Russie et du Belarus, qui déposent des centaines d’amendements pour supprimer tout caractère contraignant à la norme et y retirer l’identification des violences fondées sur le genre. Ils les défendent systématiquement pour nous faire perdre du temps et multiplient les incidents de séance.  

Nous mettons en échec la remise en cause du droit de grève tentée par le patronat…

L’article 2 définit les personnes protégées par la convention. Nous avons réussi à gagner qu’y figurent les travailleu.r.se.s, quelque soit leur contrat de travail, les privé.e.s d’emploi, licencié.e.s, stagiaires, apprenti.e.s, mais aussi les bénévoles dans l’économie formelle comme informelle. Le patronat veut y ajouter les employeurs au prétexte qu’ils ne seraient pas protégés des violences…L’enjeu est de taille, car derrière cet ajout se cache un cheval de Troie pour remettre en cause le droit de grève. Comment ? La convention prévoit à juste titre que les violences peuvent avoir un impact économique. Si elle ajoute les employeurs comme victimes potentielles, ils pourront ainsi tenter de s’en servir contre le droit de grève. Et ce n’est pas une vue de l’esprit car c’est ce qui s’est passé avec les arrêts Laval et Viking de la Cour de Justice Européenne en 2006. L’intervention de la CGT au sein du groupe a contribué à ce que cette question soit une une ligne rouge et à ce que nous cherchions des solutions de repli. Finalement, après de multiples rebondissements, nous nous accordons sur l’ajout à la liste des personnes protégées des « individus exerçant les pouvoirs, fonctions ou responsabilités d’un employeur ». Cette formulation concerne clairement les individus et ne pourra pas être utilisée pour transformer le préjudice économique d’une grève en violence. Sauvés !

Ensuite, il nous faut clarifier l’article 4, qui prévoit actuellement dans une formule très floue et problématique que « les auteurs et victimes de violence et de harcèlement peuvent être des travailleurs, des employeurs ou leurs représentants et, conformément à la législation et à la pratique nationale, des tiers, dont des clients, des prestataires de service, des usagers, des patients ou des membres du public ». Reste à trouver une réécriture qui convienne à tous, et ce sera l’objet des séances du 13 juin…

…En contrepartie d’une limitation de leurs responsabilités

L’article 10 définit les responsabilités des employeurs.

« Tout membre doit adopter une legislation prescrivant aux employeurs de prendre des mesures pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail, et en particulier, dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable : …. »

Au vu des définitions larges des personnes protégées (avec ou sans contrat de travail) et du fait que cela s’applique au monde du travail (et pas seulement au lieu de travail), le patronat exige des délimitations de ses responsabilités. La formule générale proposée par le BIT et ajoutée dans le projet de texte « dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable » ne leur suffit pas. Ils veulent ajouter « Tout membre doit adopter une legislation prescrivant aux employeurs de prendre des mesures appropriées et adaptées à leur degré de contrôle pour prévenir la violence… » Trois restrictions donc, très floues. Nous commençons par les refuser, puis, le patronat étant soutenu par l’UE et le Canada, nous les acceptons en contrepartie du retrait des amendements des employeurs sur les autres articles.