Extrait Lettre Eco N°49- Rachel Silvera

Plafond de verre, parois de verre et plancher collant, les métaphores ne manquent pas pour exprimer les inégalités de genre au travail ! Explications…

Lutter pour la mixité des emplois, c’est vouloir déconstruire la « ségrégation professionnelle », c’est-à-dire le fait que les femmes sont concentrées dans peu de métiers et filières professionnelles. Plus de la moitié d’entre elles sont concentrées dans seulement 10 « familles professionnelles[1] » sur les 87 recensées par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques).

La ségrégation à l’œuvre sur le marché du travail est double pour les femmes : à la fois horizontale (elles sont concentrées dans certains secteurs, confinées à certaines tâches) et verticale (elles peinent à accéder aux postes à responsabilité).

Cette ségrégation professionnelle est illustrée par les concepts de « parois et plafonds de verre « . La ségrégation professionnelle puise ses sources dans l’éducation différenciée selon le genre : les jeunes filles sont davantage dirigées vers des filières plus littéraires et/ou moins porteuses sur le marché du travail alors que les garçons accèdent plus facilement aux métiers techniques et aux postes à responsabilités. Pourtant, on sait par exemple que les collégiennes sont plus nombreuses à maîtriser les compétences de base en sciences que les collégiens[2] et souvent, les femmes sont surdiplômées par rapport aux postes qu’elles occupent !

Les plafonds de verre
Le plafond de verre est une expression américaine datant de la fin des années 70. Il représente les barrières, visibles et invisibles, qui font obstacle à l’accès des femmes aux postes à responsabilité, y compris dans des filières féminisées où elles n’occupent pas les postes de direction dans les mêmes proportions.

Certes elles sont désormais 42% parmi les cadres, mais lorsque l’on regarde de plus près, elles ne constituent que 15 à 20 % du « top management ». Non seulement celles-ci sont moins nombreuses dans les emplois les mieux rémunérés, mais les écarts sont plus élevés parmi les cadres. Cette catégorie est très hétérogène : on y classe des salarié.e.s dont le contenu du travail et les responsabilités diffèrent fortement, surtout selon le sexe (cadres hiérarchiques souvent masculins et cadres « fonctionnel. le.s », expert.e.s, plus féminisé.e.s).

Selon Jacqueline Laufer, ce plafond de verre a un caractère universel : « Ce constat s’applique à tous les pays, à des degrés divers, et à toutes les organisations. Partout on constate que les femmes sont de plus en plus rares au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie et qu’elles demeurent minoritaires dans les postes de décision et de responsabilité de haut niveau. En France en particulier, la rareté des femmes en position élevée dans les entreprises, dans la Fonction publique, dans les universités, au CNRS et dans les lieux de décision est désormais soulignée.[3] » L’existence de ce plafond de verre remet en cause le fondement de la plupart des organisations pour lesquelles, normalement, les promotions et avancements sont fondés sur le « mérite ».
De multiples facteurs expliquent ce plafond de verre : en premier lieu bien sûr, les enjeux de pouvoir sont le reflet de la domination masculine et des stéréotypes sexués. La question de la cooptation est prégnante dans les lieux de pouvoir où les individus tendent à chercher des profils qui leur ressemblent, d’où une reproduction des élites qui n’est pas favorable à l’égalité femmes-hommes. Le réseau informel joue aussi. On sait par exemple que faire partie d’un club de golf, dans lesquels de l’information circule et où l’on peut rencontrer les bonnes personnes, augmente les chances d’accéder à un conseil d’administration.

De plus, la maternité fait partie des étapes qui affectent tout particulièrement la carrière des femmes, car c’est en général autour de 30-35 ans que se joue les choix de carrière des cadres (mobilité, expatriation…). 
Notons cependant que depuis la Loi Copé-Zimmerman, des femmes franchissent ce plafond de verre. Cette loi est une des rares sur l’égalité – si ce n’est la seule – à être effective, en partie du moins. Elle rend obligatoire un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration (CA) des entreprises cotées (CAC 40 et SBF 120) mais aussi dans celles ayant au moins 250 salarié.e.s et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Le bilan est très positif, du moins pour les 120 premières : le taux de féminisation des CA des 120 premières entreprises est passé d’à peine 10 % au moment de la loi à 45,2 % en 2020 (Cabinet Ethics & Board[4]). Selon le bilan de la loi Copé-Zimmerman du Haut conseil à l’égalité[5], la France est désormais première au niveau de l’Union européenne et seconde au plan mondial derrière l’Islande.

J’ai eu également l’occasion d’évoquer la proposition de loi en cours, pour une « égalité économique et professionnelle réelle »[6], qui vise à introduire des quotas parmi les fonctions dirigeantes.

On peut se féliciter de l’adoption de ces mesures : la « parité au sommet » des entreprises est l’un des objectifs de l’égalité. Mais elle ne s’attaque pas à tous les plafonds de verre qui freinent la carrière des femmes et notamment tous les passages intermédiaires entre les postes d’ouvrier.e.s vers les technicien.ne.s, ceux d’employé.e.s vers la maîtrise et enfin le passage cadres. De même, cette proposition de loi est loin de rendre compte de la réalité de toutes les inégalités que subissent les femmes dans le champ du travail… Une fois de plus, on se focalise sur les premières de « cordée » et l’on n’aborde pas ou si peu d’autres sujets comme les écarts de rémunération, de carrière ou encore les risques accrus de précarité pour les femmes salariées.

Ce n’est pas un hasard si « le plafond de verre » est devenu un terme beaucoup plus courant que « les parois de verre » ou le « plancher collant » : on peut considérer avec les auteures américaines de l’ouvrage Féminisme pour les 99%[7] qu’il s’agit ici de « l’égalité dans la domination » et non d’un souci d’égalité au travail pour toutes, ce que décrivent ces autres métaphores.

Les parois de verre
Les femmes sont dans des filières et secteurs professionnels dont elles ont bien souvent du mal à sortir. Les parois de verre symbolisent la difficulté pour les femmes de changer de filières professionnelles et de métiers (par exemple passer de la filière administrative à la filière technique).

Or on le sait, il y a une forte dévalorisation de ces emplois à prédominance féminine. L’industrie utilisait les aptitudes dites « féminines, naturelles » et informelles, bien souvent acquises dans la sphère domestique. La minutie, l’habileté et la dextérité étaient par exemple recherchées, sans être reconnues, ni rémunérées par les entreprises. Ainsi pour Danièle Kergoat[8] : « la force physique est rétribuée, mais pas la finesse des mains, qualité pourtant précieuse en filature ; l’effort violent mérite une prime, mais pas la dextérité manuelle, la minutie ou la résistance nerveuse ; et cela sous prétexte que ces qualités ne seraient pas acquises par une formation, mais inhérentes au sexe féminin. Comme si, pour reprendre le cas de l’électronique, la petite fille par son éducation spécifique de future reproductrice, ensuite la jeune fille par l’apprentissage d’un métier type couture, enfin, la jeune femme par le passage fréquent d’une usine de confection n’avaient pas acquis l’agilité et la dextérité manuelle, la minutie, la rapidité… nécessaires à la tenue de ces postes de travail ».

Les services, très féminisés, se sont aussi construits autour des compétences présumées naturelles des femmes, que ce soit dans l’éducation, la santé, l’aide à domicile, le nettoyage, l’assistanat ou la vente. Il paraît légitime aux yeux de tous (ou presque) de cantonner les femmes à ces secteurs qui correspondraient à leur soi-disant nature. Or ces emplois, surtout occupés par des femmes, ont été moins bien couverts par les conventions collectives, moins bien définis dans les classifications et donc moins bien rémunérés, sous prétexte qu’il ne s’agissait pas de « vrais métiers ».

C’est tout l’objectif de la campagne de la CGT sur « la revalorisation des métiers féminisés du soin et du lien aux autres » que de s’attaquer à ces parois de verre, en revalorisant les rémunérations, et en reconnaissant les qualifications de ces emplois.

Et les planchers collants

Enfin, on peut évoquer une dernière métaphore qui tend à se développer : le plancher collant illustre le fait que des femmes salariées sont bloquées, « scotchées », au bas de l’échelle sociale et professionnelle : elles n’accèdent pas aux emplois qualifiés, elles n’ont pas ou peu de déroulement de carrière, leurs emplois sont plus souvent précaires et elles sont reléguées dans les bas salaires.

Ainsi les femmes représentent 60% des emplois peu ou « non » qualifiés ; 80% des emplois à temps partiels ; 70% des bas salaires. N’oublions pas que le Smic a un genre : 12,7 % des femmes sont rémunérées au Smic contre 5,5 % des hommes alors qu’elles sont plus souvent diplômées, notamment les plus jeunes.

Même à emploi similaire « la probabilité pour les femmes d’être rémunérées sur la base du Smic est 1,7 fois supérieure à celle des hommes », selon le ministère du Travail[9] . A cela s’ajoute le poids du temps partiel, car 43 % des salarié.e.s rémunéré.e.s au Smic horaire travaillent à temps partiel, alors que cette forme d’emploi concerne 17,5 % de l’ensemble des salarié.e.s mais 30% des femmes salariées. Bon nombre des « premières de corvée » sont dans des secteurs où le temps partiel est la norme (notamment le commerce, l’aide à la personne et l’entretien).

Ce sont elles les premières victimes des « trappes à temps partiel et à bas salaire », autre illustration de ce plancher collant.

[1] Il s’agit d’un regroupement de métiers proches, comme les infirmières, les aides-soignantes, les assistantes maternelles, les employées de commerce, les aides à domiciles, les agentes d’entretien, les secrétaires et les enseignantes pour ne citer que les plus importantes.
[2] Chiffres clés – « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » (2016).
[3] Jacqueline Laufer, « Femmes et carrières : la question du plafond de verre », Revue française de gestion, vol. 30, no 151,‎ 1er août 2004, p. 117–128.
[4] http://www.federation-femmes-administrateurs.com/wp-content/uploads/2019/10/Panorama_de_la_gouvernance_2019.pdf
[5] https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/livret_-_10_ans_loi_cope-zimmermann.pdf
[6] « Encore une nouvelle loi sur l’égalité professionnelle ? », Lettre éco n°47, mai 2021.
[7] Arruzza Cinzia, Bhattacharya Tithi et Fraser Nancy, Féminisme pour les 99%, La Découverte, 2019.
[8] Kergoat Danièle, Se battre, disent-elles…, La Dispute, 2012.
[9] Sanchez Ruby, «  Les emplois du privé rémunérés sur la base du Smic  », Dares Analyses n°  014, mars 2016. https://www.egalite-professionnelle.cgt.fr/wp-content/uploads/2021/09/Dares-les-emplois-du-prive-sur-la-base-du-smic.pdf