Par Rachel Silvera via Alternatives Economiques https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/droits-femmes-tant-doccasions-manquees/00109670

Encore des occasions perdues pour améliorer vraiment le droit des femmes : d’une part, l’Assemblée nationale a ratifié, lors d’un vote solennel mardi 30 janvier, l’introduction de la « liberté garantie » à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, mais non son droit absolu.

D’autre part, après un long processus tendu, une directive européenne contre les violences faites aux femmes a vu le jour, le 6 février 2024, excluant le viol, faute de définition européenne commune.

Les députés ont ainsi adopté en première lecture, par 493 voix contre 30, l’inscription dans la Constitution de « la liberté garantie » pour les femmes d’avoir recours à IVG. Les termes exacts sont :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Ce projet de loi du gouvernement est une avancée, mais il est en deçà des attentes féministes et de la proposition de loi visant la constitutionnalisation de l’IVG qui prévoyait : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. »

Qui plus est, ce texte doit désormais être adopté dans les mêmes termes au Sénat pour espérer être entériné. Car la voie choisie pour une révision constitutionnelle exige que les deux chambres adoptent le même texte, avant qu’il soit soumis à un scrutin au Congrès, réunissant l’ensemble des parlementaires, et nécessitant trois cinquièmes des voix. Or, le président du Sénat, Gérard Larcher n’a pas caché son refus de voir l’IVG inscrite dans la Constitution. Cette bataille n’est donc pas achevée, d’autant que les conditions d’accès à l’avortement restent difficiles en France, comme je le rappelais ici même.

Une directive contre les violences, sans condamnation du viol

Le Parlement européen et les pays de l’Union européenne (UE) ont de leur côté trouvé un accord sur une première directive contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, pour mieux lutter contre les mutilations génitales féminines, le mariage forcé et la divulgation d’images intimes, le cyberharcèlement, l’incitation à la haine ou à la violence en ligne.

Cette directive criminalise ces pratiques au niveau européen. Ce qui ouvre la voie à des sanctions harmonisées au sein des vingt-sept pays de l’UE. La législation contient aussi des dispositions destinées à protéger les victimes de violences et à leur assurer un meilleur accès à la justice.

N’oublions pas que deux femmes sur dix dans l’UE ont subi des violences de la part d’un ami ou d’un partenaire, trois sur dix de la part d’un parent ou membre de sa famille, une sur vingt a été violée. Et chaque jour, au moins deux femmes sont tuées par un partenaire ou un membre de sa famille…

Au cours des négociations houleuses sur le contenu de cette directive, le Conseil de l’UE, reprenant les positions de certains Etats membres, dont la France, l’Allemagne et la Hongrie, s’est opposé à ce que le viol soit intégré dans la directive, estimant que l’UE n’avait pas de compétence en la matière et que le texte risquait d’être retoqué par la justice européenne en cas de recours.

Il refusait ainsi que le viol soit défini comme un acte sexuel non consenti constituant une infraction pénale, alors que le Parlement européen défendait son inclusion dans le texte. Faute d’un accord, ce crime ne figurera donc pas sur la liste des infractions liées à l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants.

Les arguments de la France sont juridiques : l’inclusion de la criminalisation des actes sexuels non consensuels outrepasserait les compétences juridiques de l’UE. Toujours selon la France, le viol ne figure pas explicitement dans la liste des « eurocrimes », qui comporte la corruption, le terrorisme et l’exploitation sexuelle.

Or, pour de nombreux et nombreuses juristes, le terme « exploitation sexuelle » doit être compris comme couvrant également les actes sexuels non consentis, y compris le viol.

De même, comme l’a rappelé Helena Dalli, commissaire européenne à l’égalité, on aurait pu s’appuyer sur la même base juridique retenue pour criminaliser des activités sexuelles non consensuelles à l’égard des enfants. Il n’y a donc pas d’argument juridique à ne pas l’appliquer au viol.

Sidération, dissociation ou emprise

Mais ce n’est pas seulement une question technique. La France s’est en effet également opposée à la définition retenue dans la directive qui considère toutes relations sexuelles sans consentement comme un viol. En France, le viol est toujours défini comme un acte sexuel commis sur une personne « sous la menace, la contrainte, la surprise ou la violence ».

Introduire la notion de « non-consentement » ne passe pas au gouvernement, alors même que vingt-trois eurodéputés membres de sa majorité ont signé une tribune dans Le Monde contre cette position, comme l’ensemble des eurodéputés français, à l’exception du Rassemblement national. Alors ministre des Droits des femmes en octobre 2023, Bérangère Couillard estimait ce terme « moins parlant et moins protecteur pour les femmes ».

Or c’est exactement l’inverse : l’absence de menace, de violence ou de contrainte ne signifie pas forcément consentement puisqu’il peut y avoir sidération dissociation ou emprise. La loi suédoise, par exemple, considère comme viol « tout acte sexuel sans accord explicite ».

Dans un communiqué commun d’Amnesty International et du Planning familial, Lola Schulmann, chargée de plaidoyer Droits des femmes et des minorités de genre à Amnesty International France, a dénoncé la position de la France :

« Les législations basées sur la notion de consentement ont prouvé qu’elles garantissaient une meilleure protection et un meilleur accès à la justice pour les femmes et les autres victimes de viol. […] Une définition européenne commune du viol basée sur le consentement permettrait de lutter contre l’impunité généralisée et systématique des violences sexuelles dans l’UE. »

Ce même jour, la députée France insoumise Sarah Legrain a déposé une nouvelle proposition de loi pour intégrer le terme de consentement à la définition du viol, après celle de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Certaines féministes comme les philosophes Catharine MacKinnon ou Manon Garcia ont évoqué leur crainte d’une interprétation libérale du consentement, qui part du présupposé que toutes les personnes sont des individus libres et égaux, occultant les rapports de pouvoir et de dépendance économique.

Cette interprétation risque de faire reposer la définition du viol sur le comportement des victimes et non de l’agresseur. Mais d’autres insistent sur l’enjeu d’une définition féministe explicite – « céder n’est pas consentir » – , en s’appuyant sur le modèle espagnol (« solo si es si »), sans écarter les notions de menaces, surprise, violence ou contrainte déjà présentes dans la définition française.

De nombreuses associations féministes, syndicats et partis politiques, également favorables à une définition du viol autour de la notion de consentement, font aussi valoir qu’elle est conforme à la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ratifiée par l’UE.

Même si ces textes apportent quelques avancées pour les droits des femmes, on est vraiment loin du compte, et certainement pas à la hauteur de la grande Cause nationale pour l’égalité de ces deux quinquennats.

Portrait de Rachel Silvera en dessin
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre