par Rachel silvera,

Le télétravail est-il féministe ? Est-il enfin l’occasion pour les femmes et les hommes de mieux se répartir les tâches domestiques ? On en est encore bien loin. Pire, ce serait même une circonstance aggravante, si l’on en croit l’étude publiée le 15 mars par le centre Hubertine Auclert intitulée « Le télétravail et l’égalité femmes-hommes ». Le constat est alarmant : faute de prendre des mesures précises, les risques de renforcer les inégalités professionnelles sont réels.

Différentes enquêtes – Ined ; Anact ; BCG-Ipsos ; Dares ; Ugict-CGT et APEC – ont relevé à quel point les périodes de confinement télétravaillées ont été difficiles, notamment pour les femmes. Avec les écoles ou les classes fermées, elles ont dû faire face à une explosion de leurs temps contraints, temps de travail et temps domestique ou familial. Comment travailler tout en gardant ses enfants ? C’est une question que bon nombre d’entre elles se sont posée, d’autant que les droits aux congés de gardes d’enfants n’ont pas été systématiques.

Les femmes sont moins nombreuses à avoir un espace dédié au télétravail : 47 % des hommes cadres et 29 % des femmes cadres

Ces enquêtes montrent également que les conditions du télétravail n’ont pas été identiques pour les femmes et les hommes. Elles ont eu moins accès à un matériel adapté, à un accompagnement de l’entreprise, moins d’encadrement du droit à la déconnexion, selon l’Ugict-CGT… A cela s’ajoute le fait qu’elles sont moins nombreuses à avoir un espace dédié au télétravail : 47 % des hommes cadres et 29 % des femmes cadres, relève l’Ined.

Elles sont aussi plus souvent interrompues dans leur travail : 28 % des femmes et 19 % des hommes, pointe BCG-Ipsos. Résultat, les femmes ont été plus nombreuses à connaître des problèmes de santé.

D’après l’enquête de l’Ugict, 55 % des femmes et 35 % des hommes ont déclaré souffrir de troubles musculo-squelettiques, d’anxiété (38 % des femmes et 29 % des hommes), voire de détresse…

Surconnexion des femmes

Pour beaucoup de responsables des ressources humaines et de managers, une suspicion plane sur le télétravail et singulièrement sur les femmes. Du fait de l’effacement des frontières entre travail et non-travail, et d’une invisibilité plus forte dans la prise de parole en visio-conférence, ou lors des heures critiques de connexion de 18 à 21 heures… on pense à tort qu’elles travailleraient moins.

La Dares a montré tout au contraire qu’en janvier 2021, les télétravailleuses (régulières ou occasionnelles) connaissent une dégradation du travail plus forte que les télétravailleurs : augmentation de la durée du travail (pour 31 % des femmes et 27 % des hommes) ; hausse de l’intensité du travail (28 % et 21 %) ou encore hausse des exigences émotionnelles (tensions au travail et travail bouleversé) pour ne parler que du télétravail régulier…

« Par rapport à l’avant crise, elles sont plus nombreuses à subir une augmentation de la pression au travail, devoir penser à trop de choses à la fois, ou encore, recevoir des ordres contradictoires. »

Elles sont aussi plus nombreuses à subir des reproches de l’entourage concernant leur manque de disponibilité (27 % des télétravailleuses et 20 % des télétravailleurs).

Ainsi, le temps de transport gagné s’est transformé en temps de travail et le télétravail ne permet pas de dégager du temps, au contraire. Bon nombre de télétravailleurs et télétravailleuses déclarent travailler davantage le soir, voire la nuit…

Des risques avec un télétravail « hybride »

Depuis, le télétravail a reculé mais n’a pas disparu. Plébiscité par les salarié·es, singulièrement les femmes qui y voient un allègement des temps de transport et une meilleure adaptation de leur rythme de travail, le télétravail est désormais envisagé sous forme hybride, à raison de deux ou trois jours hebdomadaires.

Les femmes sont davantage concernées par ce mode hybride, tandis que les hommes sont plus nombreux à avoir repris à plein temps en présence.

Ceci induit des inégalités dans l’accès aux informations (y compris sur les vacances de postes), aux réunions et aux réseaux informels. Les femmes sont ainsi plus isolées, invisibles. L’Apec note un moindre accès des femmes cadres aux promotions et aux augmentations de salaire… La culture du présentéisme a donc repris tous ses droits.

L’accord national interprofessionnel sur le télétravail signé en novembre 2020 contient un volet sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui prévoit justement que « le télétravail ne doit pas être un frein à l’égalité », ou qu’il ne peut « influencer négativement la carrière », mais concrètement, ce sont des principes sans contenu précis de suivi et d’engagement.

Au total, ce mouvement de télétravail s’apparente aux effets décriés il y a déjà longtemps du temps partiel : vis-à-vis de l’entreprise, prendre un temps partiel s’apparente à une mise en retrait, à un moindre investissement dans son projet professionnel, et par ricochet, ouvre moins d’opportunités pour accéder à des promotions et des responsabilités.

Même si des accords égalité professionnelle s’engagent à ne pas pénaliser les carrières des personnes à temps partiel, on sait que les pratiques sont tout autres et il y a fort à parier qu’il en sera ainsi du télétravail, sauf à porter des mesures concrètes en faveur de l’égalité dans les accords négociés.

Portrait de Rachel Silvera en dessin

Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre
www.rachelsilvera.org