L’administration Biden a affiché d’entrée de jeu sa volonté de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. La composition du gouvernement, par exemple, laisse une place centrale à des femmes, notamment issues de la diversité. La réduction des inégalités de genre fait par ailleurs partie de ses priorités, notamment du fait de l’explosion du chômage des femmes. A la différence de celle de 2008, la crise actuelle s’est en effet traduite, tout particulièrement aux Etats-Unis, par des pertes d’emplois féminins. 

Selon la vice-présidente Kamala Harris https://www.courrierinternational.com/article/precarite-aux-etats-unis-25-millions-de-femmes-americaines-ont-perdu-leur-emploi-alerte, 2,5millions de femmes et 1,8million d’hommes avaient perdu leur emploi un an après le début de la crise sanitaire. Cela est lié, d’une part, au fait que les secteurs d’activité les plus touchés par la crise (tourisme, commerce, hôtellerie-restauration, etc.) sont très féminisés. D’autre part, de nombreuses mères de famille ont dû renoncer à leur emploi pour faire face à la fermeture des écoles et des structures d’accueil des enfants. Pour répondre à ces défis, de nombreuses mesures en faveur de la politique familiale et dans le plan de sauvegarde de l’emploi devraient vraiment réduire les inégalités sociales, raciales et de genre. Soutenir les familles (et donc les femmes).

Le plan américain pour les familles prévoit en effet la généralisation des écoles maternelles (200milliards de dollars y seraient consacrés), jusqu’alors réservées aux familles les plus aisées. De même, il fait figurer un financement de 225 milliards de dollars en faveur des garderies d’enfants plus jeunes, pour en alléger le coût à charge pour les familles et faciliter ainsi le retour ou l’accès des femmes au marché du travail. Rappelons que les garderies aux Etats-Unis sont très coûteuses et que la plupart des écoles publiques n’accueillent les enfants qu’à partir de 5ans. Or, grâce à ce plan, les familles recevront un crédit d’impôt (ou une allocation s’ils paient peu d’impôts) représentant la moitié des dépenses de gardes d’enfants de moins de 13ans (jusqu’à 4000dollars par enfant). Ce remboursement sera complet pour les familles gagnant moins de 125000dollars par an et partiel jusqu’à 400000dollars de revenu annuel. En outre, des congés familiaux– notamment de maternité– seront $nancés. Avant la pandémie, seulement 20% des salarié.es du secteur privé et seulement 8% parmi les bas salaires bénéficiaient d’un congé familial payé à la naissance d’un enfant. Par ailleurs, le plan pour les familles vise à renforcer l’Etat-providence américain, en favorisant les plus modestes jusqu’à celles des classes moyennes, y compris les parents sans emploi. Il s’agit de l’extension d’un crédit d’impôt de 3000dollars par enfant et par an (3600 pour les moins de 5ans), au lieu des 2000 dollars actuels. Les familles sans emploi, ne payant pas d’impôts fédéraux, étaient jusqu’à présent exclues de cette mesure. Désormais, elles recevront environ 300 dollars par mois et par enfant (800milliards de dollars).

Toutes ces mesures paraissent peut-être désuètes pour nous Français.es, mais n’oublions pas que ce pays a consacré en 2019 seulement 0,6% de son PIB aux aides sociales aux familles, ce qui le situe avant-dernier parmi les pays de l’OCDE https://www.oecd.org/social/family/child-well-being/data/policies/ (juste devant la Turquie) et loin du Danemark (3,4%) et de la France (2,9%).Investir dans l’économie des soins Véritable avancée– y compris d’un point de vue français– le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit de «consolider l’infrastructure de notre économie des soins en créant des emplois et en augmentant les salaires et les avantages sociaux des travailleurs essentiels des soins à domicile»On peut lire plus loin: «Ces travailleurs– dont la majorité sont des femmes de couleur– sont sous-payés et sous-évalués depuis trop longtemps.» Quelque 400milliards de dollars sont prévus pour $nancer 150000 nouveaux emplois dans les soins à domicile des personnes dépendantes ou handicapées, ou dans des maisons de retraite, ainsi que des revalorisations de salaire (parmi ce personnel, un sur six vit en dessous du seuil de pauvreté).L’enjeu est ici double. En premier lieu, il s’agit de faciliter l’accueil des personnes âgées et des jeunes enfants, de lutter contre les risques de pauvreté et, par là même, alléger la charge qui repose essentiellement sur les femmes (en tant que mères ou aidantes auprès des personnes âgées). En second lieu, cela doit améliorer l’emploi des personnels de l’économie des soins, des femmes en grande majorité, de couleur pour plus de la moitié d’entre elles, en leur offrant également des opportunités de formation, de carrière et enfin l’accès à un syndicat et à la négociation collective. Signal fort: ce volet d’investissement dans l’économie des soins– appelé par Joe Biden lui-même «infrastructure de soins»care infrastructure») fait partie du plan pour l’emploi, au côté du développement des infrastructures «traditionnelles», largement dominées par des emplois masculins (grands travaux pour les routes, les ponts, les transports, le réseau électrique, etc.). «Pour que les gens aillent travailler, nous avons besoin de routes, de ponts et de garderies», a déclaré la sénatrice démocrate Elizabeth Warren au journal Vox https://www.vox.com/2021/4/28/22404411/biden-american-families-plan-inequalityOn n’avait jamais vu– même en Europe– un Président axer aussi explicitement sa politique de reprise économique sur ces travailleuses invisibles, et pourtant essentielles.

Par Rachel Silvera, maîtresse de conférence à l’Université Paris-Nanterre http://www.rachelsilvera.org/

https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/plan-biden-sattaque-aux-inegalites-de-genre/00099251