Nous avons vu partout fleurir, sur les pousses d’une pénurie de masques en Belgique et en France, de nombreux appels à bénévoles lancés par les Etats, par des entreprises, des hôpitaux, des réseaux informels s’organiser sur Facebook… Bientôt les villages, les villes, les départements, les régions s’y sont mis, des réseaux de confection se sont organisés sur l’ensemble des territoires des deux pays. Des femmes (plus de 94%), par centaines de milliers ont produit des masques en tissu à la chaîne, relevant le défi de protéger les personnels soignants, les personnels de supermarchés, nettoyeurs.ses de rues, les civil.es, fonctionnair.e.s, personnel.le.s de la poste, policier.e.s et pompiers; tous ces héros et héroïnes qui ont pu accomplir leurs exploits en première ligne, protégé.e.s par les masques confectionnés par les couturières. On comptait alors sur ces masques cousus dans les salons, les cuisines, les salles à manger, les ateliers de fortune pour faire reculer la propagation du virus.
La santé publique était dans les mains des « couturières solidaires ».
Celles qui demandaient quelques euros en échange d’un masque étaient souvent insultées. « C’est dégueulasse vous profitez de la crise pour vous enrichir », « Pensez aux morts! ». Parfois même harcelées.
Nous nous sommes mobilisées très vite pour revendiquer une rémunération pour les couturières, des conditions de travail décentes, ou a minima que ce travail compte dans le calcul de leurs droits sociaux. Nous avons voulu visibiliser ce qui se tramait à l’abri des regards au creux des foyers confinés, que l’on sache que des femmes, des étudiant.es, des détenu.es, des personnes sans-papiers, étaient en train d’œuvrer derrière leurs machines à coudre pour protéger la population.
Ces héroïnes qui ont participé à « l’effort de guerre » de bon cœur au début ont bien souvent déchanté. Sentiment d’être exploitées, épuisement, matériel rendu hors service car non adapté à une utilisation à échelle industrielle.
Après des semaines d’utilisation des masques produits par les bénévoles, les couturières ont eu l’obligation de payer une homologation pour les commercialiser dès l’apparition sur le marché des masques industriels.
Au fond, à qui a profité cette politique du travail gratuit? Comment s’est-elle imposée dès le début de la crise? Les Etats passaient des commandes à l’étranger et réglaient les factures, pourquoi alors ne pas avoir soutenu les couturières et les entreprises locales?

Un an après la naissance du mouvement Bas les masques, que nous disent les sciences sociales? qu’en pensent les juristes?
Pour fêter notre anniversaire, nous avons voulu faire le point. Nous aurons l’honneur d’avoir parmi nous des intervenantes passionnantes, qui nous éclaireront sur les questions du travail gratuit, des mouvements sociaux, de l’invisibilisation de certains postes -et lesquels- dans l’industrie du textile. Nous en saurons plus sur l’assignation des tâches domestiques et la non-valorisation des professions prétendument féminines, souvent issues du glissement de la sphère domestique à la sphère professionnelle, sur la place des femmes dans l’économie, et enfin comment, d’un point de vue juridique, Bas les masques peut espérer voir une suite concrète à son combat pour faire valoir les droits des couturières.

Avec :
Manon Legrand, journaliste (Axelle Mag, Alter Echos)
Maud Simonet, sociologue, Directrice de recherches CNRS, Directrice de l’IDHES-Nanterre
Giulia Mensitieri, Docteur en anthropologie sociale et ethnologie
Rachel Silvera, économiste, enseignante à l’université Paris-Ouest Nanterre La Défense, chercheuse associée au CES (Centre d’économie de la Sorbonne) et co-directrice du réseau de recherche « Mage » (Marché du travail et genre)

En Facebook live ce mardi 30 mars à 19h30 https://fb.me/e/4T127BbeM