Retrouvez la Chronique de mai 2025 de Rachel Silvera, maîtresse de conférence à l’Université Paris Nanterre via Alter Eco https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/viol-consentement-changer-systeme-plutot-quun-loi/00114844 sur le viol et le consentement.

Le 1er avril 2025 au soir, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi transpartisane qui définit le viol ou l’agression sexuelle par le « non-consentement » de la victime. Il s’agit en réalité de la troisième proposition sur ce thème débattu à l’Assemblée, depuis la directive européenne sur les violences de 2023, qui avait soulevé déjà une polémique car Emmanuel Macron s’était justement opposé à l’introduction de cette notion.

Mais après un an de travaux à l’Assemblée nationale, ce nouveau texte a été adopté par 161 voix pour et seulement 56 contre (dont le Rassemblement national, le groupe ciottiste UDR et quelques député·es socialistes), avec le soutien du gouvernement qui a donc changé d’avis. Ce texte sera ensuite examiné par le Sénat.

Jusqu’à présent, le viol était défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Le nouveau texte définit le viol comme « tout acte sexuel non consenti ». Et précise : « Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. » Et d’ajouter enfin : « il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise », ce qui reprend les termes clés du Code pénal.

Pour les deux rapporteures de ce texte (Marie-Charlotte Garin, députée écologiste et Véronique Riotton, députée macroniste), c’est une victoire, un « changement de paradigme », en passant « d’une culture du viol à la culture du consentement ». Pourtant, l’ajout de ce terme est à l’origine d’une controverse au sein du mouvement féministe, mais aussi parmi les juristes et dans le monde de la recherche.

Un moyen de compenser une jurisprudence insuffisante…

A l’origine de ce changement, on trouve le gouvernement et ses ministres, mais aussi le Planning familial, le Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles, la Fédération nationale solidarité femmes, ainsi que des juristes comme Catherine Le Magueresse, également chercheuse.

Le premier argument est le constat que le viol est un phénomène massif qui demeure très largement impuni. Selon une enquête de l’Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm) de 2024, près de 30 % des femmes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi une tentative ou un acte sexuel forcé au cours de leur vie.

En 2021, selon les données du ministère de l’Intérieur, près de 250 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles, dont 168 000 viols et tentatives de viol. Huit victimes sur dix ne portent pas plainte. Enfin, près de 73 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite, selon les chiffres du ministère de la Justice publiés en 2018.

Par ailleurs, les rapporteures estiment que la jurisprudence est insuffisante « pour combler le silence de la loi sur la notion de consentement » et pour couvrir un grand nombre de cas de sidération, situations d’emprise et de coercition, ou encore les stratégies développées par certains agresseurs d’exploitation de la vulnérabilité des victimes.

Selon Catherine Le Magueresse, jusqu’à aujourd’hui, l’absence de consentement est appréciée à l’aune du comportement du mis en cause, s’il y a eu effectivement des formes de violence, contrainte, menace ou surprise. Et selon elle, « la seule preuve d’un refus ou d’une absence de consentement ne suffit pas à caractériser l’infraction ».

Elle cite ainsi des cas où la victime a dit non, mais ne s’est pas débattue ; où elle était sidérée, paralysée et n’a rien dit… Dans de nombreuses situations analogues, le magistrat François Lavallière a déclaré devant la mission d’information parlementaire avoir dû « classer sans suite de procédures, d’ordonner des non-lieux, de relaxer, alors que je croyais les victimes ».

… ou une arme en faveur de l’agresseur ?

De nombreuses associations féministes, comme Osez le féminisme ! (OLF), le Collectif contre le viol, et certain·es juristes ont pris position contre cette décision.

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, explique dans sa chronique sur France inter, le 29 mars 2025, que considérer le viol comme une « pénétration non consentie » – et non comme une « pénétration imposée » – déplace le centre de gravité du crime : « non consentie » suppose que la justice scrute la victime, analyse son comportement, et qu’il faudra prouver qu’elle n’était pas consentante et ensuite démontrer que violeur le savait !

Selon les féministes Emmanuelle Piet et Ernestine Ronai, qui travaillent depuis quarante ans auprès de victimes de viols, cette formulation « place le projecteur sur la victime et son consentement – ou son absence de consentement – plutôt que sur l’acte commis par l’agresseur. (…) L’agresseur, lui, peut se contenter d’affirmer qu’il n’a pas compris, qu’il pensait que c’était « ambigu » ».

De plus, selon une tribune dans Le Monde portée par OLF, « la meilleure stratégie d’impunité pour l’agresseur est de fabriquer un consentement profondément vicié, de faire croire à sa victime d’abord, à la justice ensuite qu’elle était consentante, ou au moins, qu’il avait cru qu’elle était consentante ».

En fait, le consentement est déjà présent dans les dossiers, mais comme une arme pour l’agresseur et non pour la défense de la victime. Introduire la notion de consentement dans la loi ne serait donc pas sans danger, selon l’avocate féministe Lorraine Questiaux dans Dalloz actualité : « Aujourd’hui, aux assises, les accusés ne cessent de clamer qu’ils se sont assurés d’un consentement. Qu’en sera-t-il demain si la loi intègre la notion ? »

Pour une loi-cadre intégrale

Autre argument, contrairement aux rapporteures de la loi, la jurisprudence de la Cour de cassation est suffisamment protectrice, y compris dans des cas de sidération.

Toujours selon Lorraine Questiaux : « Ce n’est pas la loi qui pose problème. C’est son application par les magistrats et les enquêteurs. Souvent, l’enquête s’arrête dès qu’il y a un consentement apparent. La culture du viol rend inefficace notre législation. »

Cette réforme législative paraît donc inutile, alors qu’en revanche une réforme judiciaire s’impose pour en finir avec un dysfonctionnement global de la justice et de la police qui conduit à ce qu’une seule plainte pour viol sur dix aboutisse à une condamnation.

Entre 2016 et 2023, avec la vague #MeToo, le nombre de plaintes enregistrées par la police et la gendarmerie a augmenté de 187 % pour les viols, les affaires traitées pour viols par les parquets ont augmenté elles de 115 %, mais à moyens et effectifs constants. N’oublions pas que dans l’affaire tentaculaire des viols de Mazan, la juge d’instruction avait 89 autres dossiers à instruire en même temps.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles suppose d’adopter une loi-cadre intégrale, autour de 140 mesures, défendue par l’ensemble des féministes et que j’ai déjà eu l’occasion de présenter dans une précédente chronique.

Il s’agit en effet de développer la prévention, la formation, la sensibilisation l’accompagnement des victimes et la création de juridictions spécialisées. Car c’est avant tout le traitement défectueux des plaintes et l’absence de réelle considération des victimes qui font défaut.